Projet de loi sur l'immigration et l'intégration
Extraits
du débat sur l'article 12 avec intervention de Denis Badré en séance de nuit,
au Sénat, le 8 juin 2006.
Mme la présidente. La parole est à M. Denis Badré, pour défendre l'amendement n° 513 rectifié bis.
M. Denis Badré. Un vrai
débat, responsable, sérieux et approfondi, s'est instauré au sein du groupe de
l'Union centriste-UDF sur cette question qui se trouve au coeur de notre
discussion sur l'immigration.
Nous avons pesé tous les points de vue, dont beaucoup
viennent d'être évoqués aussi bien par la droite que par la gauche. Certains
ont développé des arguments en faveur de cet article, d'autres des arguments
contre. J'ai bien entendu, notamment, ce qu'a dit M. Jacques Legendre.
Au terme d'une large réflexion, certains membres du groupe ont finalement décidé de déposer un amendement de suppression de l'article 12, afin de prendre leurs responsabilités sur ce sujet central.
Nous avons pris cette décision au regard de trois critères : pratique, opératoire - le jeu en vaut-il la chandelle ? - et philosophique.
L'aspect pratique ne me paraît pas le plus important des
trois. Certes, nous avons retourné tous les problèmes et nous nous sommes
aperçus que la mesure serait difficile à mettre en oeuvre. Des zones de flou et
d'ombre subsistent. Quels métiers retiendra-t-on ? Pourquoi tel métier et
pas tel autre ? Dans un métier donné, à partir de quand sera-t-on
considéré comme compétent ? Quel type de recours pourrons-nous offrir aux
professions exclues ou aux personnes exclues à l'intérieur d'une profession ?
Sur tous ces points, je fais confiance à ceux qui seront
chargés de rédiger les textes d'application de l'article. J'imagine qu'ils
arriveront à trouver des solutions à toutes ces questions afin d'éclaircir
parfaitement le débat. Il me semble en effet nécessaire d'avancer sur des bases
totalement claires.
Quoi qu'il en soit, je ne retiens que pour mémoire les
arguments concernant le caractère pratique de la disposition.
J'en viens maintenant au caractère opératoire de la mesure.
Nous voulons maîtriser l'immigration. Dans la discussion
générale (cf. intervention du 6 juin), j'ai insisté sur le fait que la
meilleure manière de le faire consistait à traiter le problème à sa source, et
donc à mettre en oeuvre résolument une vraie politique de codéveloppement.
J'ai insisté également sur le fait que la France n'y
arriverait pas seule. Les États-Unis ne le feront jamais. C'est donc à l'Europe
d'y procéder. Je demande donc à nouveau - je l'ai fait l'autre jour et je
le fais en toute occasion ces derniers temps - que la France continue,
dans son intérêt, à tenir son rôle d'ouvreur dans la construction européenne en
proposant à Bruxelles que l'Europe lance une grande politique de
co-développement.
Ce serait bon pour l'Europe et ce serait bon pour l'image de
la France en Europe. Par ailleurs, nos jeunes croiraient de nouveau en une
Europe qui chercherait à atteindre ce type d'objectif.
J'insiste lourdement sur ce point, car c'est le coeur du
problème !
À partir du moment où l'objectif est de mettre en place une
politique de codéveloppement et où nous retenons que la meilleure manière de
traiter le problème de l'immigration est de réduire la misère dans les pays
d'origine des migrants, ne pillons pas leurs talents !
M. le ministre d'État, dans son intervention liminaire, l'a
dit, et il a rappelé les conversions qu'il a eu notamment avec le président
Abdoulaye Wade. C'est un vrai sujet.
Le discours que le président Wade nous adresse est
exactement celui que nous adressons à nos partenaires américains lorsqu'ils
retiennent chez eux nos post-doctorants, en les séduisant et en écrémant les
meilleurs des nôtres !
Ils les retiennent, d'ailleurs, en leur offrant autre chose
qu'une carte : des conditions de travail, des conditions financières, des
conditions d'accueil avec lesquelles nous ne pouvons pas rivaliser. C'est
pourquoi nos meilleurs post-doctorants restent aux États-Unis plutôt que de
revenir en France.
Il ne faut donc pas refuser d'écouter le président Wade
quand il nous dit la même chose que ce que nous disons aux Américains !
Même si nous devons rester très calmes face à ces réalités,
nous sommes dans un monde difficile, dans un monde ouvert, et nous devons
regarder les choses comme elles sont.
La mesure qui nous est proposée aujourd'hui vise finalement
plus à fermer la porte à ceux qui n'ont pas de compétences qu'à l'ouvrir à ceux
qui en ont ! (Mmes Bariza Khiari,
groupe Socialiste, et Monique Cerisier-ben Guiga, groupe Socialiste,
applaudissent.)
Mais, fermant la porte à ceux qui n'ont pas de compétences,
nous ne les empêcherons pas de venir : ils souffrent dans leur pays, ils
souffriront de le quitter, mais ils le quitteront tout de même, la mort dans
l'âme, pour venir grossir chez nous les rangs des clandestins, car ils n'ont
pas la possibilité de rester chez eux !
On ne traitera donc pas le problème de l'immigration en
refusant une carte à certains immigrés. Ils viendront quand même, mais
clandestinement !
En revanche, instaurer une telle carte n'attirera pas
davantage les immigrés dont nous avons besoin. Ceux-là choisiront la France le
jour où notre pays deviendra attractif.
Nous aurons gagné le jour où les post-doctorants français
qui sont à Boston auront le souci, en fin d'études, de rentrer en France plutôt
que de céder à l'appel des sirènes américaines. Nous aurons gagné lorsque
le mathématicien indien, au lieu d'aller retrouver le mathématicien français à
Boston, s'arrêtera en France, où le mathématicien français l'accueillera !
À ce moment-là, nous aurons gagné ! Mais ce n'est pas
la carte « compétences et talents » qui amènera les uns ou les autres
à choisir la France.
En résumé, la création d'une telle carte n'empêchera pas de
venir ceux dont nous ne voulons pas, et elle n'incitera pas à venir ceux dont
nous voulons. Elle n'est donc pas très opérante à cet égard.
Quand au dernier critère, l'aspect philosophique de cette
affaire, je dois avouer que je suis gêné.
Je suis en effet gêné que la France établisse une
distinction entre des immigrés qui seraient utiles et d'autres qui ne le seraient
pas, car les uns et les autres sont des êtres humains !
Je suis également dérangé par le vocabulaire utilisé pour
présenter les choses. D'un point de vue philosophique, je suis gêné d'entendre
parler de bons et de mauvais immigrés !
Ce dernier aspect, finalement, me semble beaucoup plus
important que les deux précédents, car j'aime bien être en accord avec ce que
je pense profondément et humainement.
Cet article 12 pose donc problème à mon groupe.
Néanmoins, nous sommes très désireux de progresser sur le
codéveloppement et sur une maîtrise de l'immigration, et non sur un choix. Si
choix de l'immigration il devait y avoir, nous voulons que ce soit un choix
pour tous, pour nous mais également pour ceux qui viendront.
Pour cette raison, nous avons considéré avec un très grand
intérêt l'amendement n° 81 rectifié bis de M. Portelli, qui nous
semble aller dans le sens de l'établissement de relations bilatérales entre les
pays.
À ce moment-là, le choix de l'immigration devient, me
semble-t-il, humainement acceptable. S'il y a un vrai débat, une vraie
discussion, et si, souverainement, les uns et les autres dialoguent en se
respectant mutuellement, nous pouvons accepter d'entrer dans une démarche qui
ne serait plus du tout de même nature.
L'amendement n° 81 rectifié bis de M. Portelli
nous convient, et un certain nombre des membres de mon groupe l'ont cosigné.
Personnellement, j'étais prêt à le faire également, et je suis prêt à plaider
tout à l'heure en sa faveur. J'ai d'ailleurs déposé un sous-amendement allant à
peu près dans le même sens.
En fonction de la discussion, monsieur le ministre, si vous
nous confirmez que vous avez la volonté d'avancer sur le problème du
co-développement, que vous ferez tout pour que cette carte n'entrave pas ce
codéveloppement que nous appelons de nos voeux, que vous essayerez de trouver
des solutions pratiques respectueuses de toutes les souffrances qui sont en
jeu, nous pourrions être appelés à considérer d'un autre oeil l'ensemble du
sujet.
Quoi qu'il en soit, pour le moment, nous sommes très
réservés sur cet article.
(…)
Mme la présidente. Le
sous-amendement n° 528, présenté par M. Badré et les membres du
Groupe Union centriste-UDF, est ainsi libellé :
Remplacer la première phrase du second alinéa du texte
proposé par l'amendement n° 24 pour l'article L. 315-2 du code de
l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par deux phrases ainsi
rédigées :
« Lorsque l'étranger souhaitant bénéficier d'une carte
"compétences et talents" réside régulièrement en France, il présente
sa demande auprès du représentant de l'État dans le département. Lorsque
l'étranger réside hors de France, il présente sa demande auprès des autorités
diplomatiques et consulaires françaises territorialement compétentes. »
La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Ce
sous-amendement vise à élargir l'obtention de la carte aux étrangers résidant
déjà sur le territoire français. Je pense par exemple aux étudiants ou à des
actifs titulaires d'une carte de séjour de salarié.
En effet, beaucoup d'étudiants venant de pays en
développement arrivent chez nous pour suivre un premier et un deuxième cycles.
Ils s'inscrivent ensuite en troisième cycle aux États-Unis. Ils sont alors
perdus pour leur pays et pour le nôtre !
Il faut parvenir à stabiliser ce type de compétences et de
talents, soit dans le cadre de l'amendement n° 81 rectifié bis, soit pour
un temps, comme le prévoit l'amendement n° 106 rectifié bis. Quoi qu'il en
soit, il faut examiner le problème dans toutes ses dimensions. Le sous-amendement
n° 528 vise donc à colmater cette voie d'eau particulière.
(…)
Mme la Présidente. Quel est
l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Avant tout, je tiens à
remercier les membres de la Haute Assemblée, qui, depuis que nous avons
commencé à examiner l'article 12, ont à coeur de défendre leurs convictions.
Le débat a montré que chacun avait conscience, même si tout
le monde n'est pas d'accord avec la réponse apportée par cet article aux
problèmes que connaît notre pays, du fait que nous avions une vraie difficulté
avec certains pays étrangers et, parfois, avec nous-mêmes.
Jacques Legendre a eu l'occasion de le souligner, comme
d'autres intervenants d'ailleurs, lorsque nos propres étudiants sont aspirés
par des universités américaines et qu'ils se voient ensuite proposer des postes
avec une qualification et un niveau de rémunération que nous ne sommes pas
capables de leur offrir, nous voyons que nous sommes nous-mêmes confrontés à
des difficultés.
Dans cette compétition de compétences et de talents, qui
dépasse notre seule dimension nationale, il était important que nous nous
dotions d'une politique qui nous soit propre, dans le respect des autres.
L'examen des précédents articles a mis l'accent sur cet aspect. Nous avons
d'ailleurs eu un débat hier soir sur le financement du codéveloppement,
notamment à propos de l'épargne provenant des revenus des travailleurs
étrangers résidant en France.
Je voudrais que chacun soit convaincu que, avec l'article
12, le Gouvernement a non seulement eu la volonté de permettre l'accueil de
cadres, de scientifiques, d'universitaires, de techniciens qualifiés étrangers
afin de bénéficier de leurs compétences, mais qu'il a aussi eu le désir d'en
faire bénéficier leurs pays d'origine et de renforcer notre vision du
codéveloppement.
Comme Jacques Legendre vient de le dire, nous cherchons
également à renforcer la francophonie et le rayonnement international de notre
pays. À cet égard, je voudrais vous remercier, monsieur le sénateur, d'avoir
rappelé que beaucoup de ressortissants étrangers souhaitant venir travailler en
France - je pense notamment aux cadres - ont d'abord découvert la
France en faisant l'apprentissage de notre langue.
Je vous remercie également d'avoir rappelé que ce n'est pas
le Gouvernement qui fait appel à des cerveaux étrangers. Ce sont le plus
souvent ces cerveaux qui demandent ardemment à venir en France.
Madame Boumediene-Thiery - je le dis de façon
modérée -, vous avez choisi de vous exprimer avec un peu d'outrance en
assimilant la création de la carte « compétences et talents » à une
nouvelle forme de servitude. Je vous le rappelle, la servitude est
l'attachement à un maître et à une terre. Or la carte « compétences et
talents » est tout le contraire, puisqu'elle encourage la mobilité.
Vos reproches sont d'ailleurs tout à fait contradictoires.
Ainsi, vous dites que nous ne nous intéressons qu'aux meilleurs. Mais le projet
de loi comporte dans son article 10, et vous l'avez suffisamment dénoncé, une
ouverture du marché du travail aux métiers moyennement ou peu qualifiés.
Par conséquent, lorsque vous vous exprimez sur l'article 12,
vous ne pouvez pas prétendre que l'ensemble de notre politique en faveur du
travail des étrangers se résumerait à ce seul article. En effet, nous avons déjà
eu un grand débat sur l'article 10, précisément afin de permettre à un certain
nombre de travailleurs non qualifiés d'accéder au marché du travail dans notre
pays.
Comme vous pouvez le constater, le présent projet de loi
prend bien en compte la diversité des situations.
Madame Cerisier-ben Guiga, ne faites pas semblant de n'avoir
pas compris.
D'une part, la délivrance de la carte de séjour
« compétences et talents » prendra en compte l'intérêt, tant pour la
France que pour le pays d'origine, du projet présenté par l'étranger. C'est
l'objet de l'article L. 315-2 du code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile.
D'autre part, le titulaire de cette carte devra apporter son
concours au développement de son pays d'origine par une action de coopération
pendant la durée de son séjour en France.
Pour illustrer le pillage des cerveaux, vous mentionnez le
cas des médecins africains exerçant dans des hôpitaux français.
Mais une telle situation n'a pas pour origine la carte de
séjour « compétences et talents », qui n'existe pas encore. S'il y a
des médecins étrangers dans les hôpitaux français, ce n'est pas lié à cette
carte !
Madame Cerisier-ben Guiga, savez-vous que, du 31
décembre 2001 au 1er janvier 2002, les services de santé
publics et privés français ont perdu en moins de vingt-quatre heures 20 %
de leur personnel du fait de l'application des 35 heures ?
(…)
M. Christian Estrosi, ministre délégué. En tout
cas, ne me dites pas que ce serait à cause de la carte « compétences et
talents » que nous serions aujourd'hui confrontés à un tel phénomène.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais nous
n'avons jamais dit cela !
Mme Hélène Luc. Personne
ne l'a dit !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je vous rappelle que la
carte « compétences et talents » n'existe pas encore ! La
situation que vous décrivez ne peut pas avoir pour origine un dispositif qui,
je le répète, n'est pas encore appliqué,...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Personne
n'a prétendu une absurdité pareille !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... alors que l'exode des
médecins africains a commencé au début des années quatre-vingt-dix.
Certes, la carte « compétences et talents » n'est
pas la panacée.
Mme Hélène Luc. Il ne
faut donc pas l'instituer !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. S'il vous plaît !
Nous avons eu un débat intéressant, qui n'est pas fini ! Nous avons tout
notre temps et nous prendrons tout le temps qu'il faudra. Un tel débat le
mérite vraiment, me semble-t-il. Il y a des contributions passionnantes sur
toutes les travées de cet hémicycle, et je souhaite que chacune puisse être
prise en compte.
Si elle n'est pas la panacée, la carte « compétences et
talents » constitue tout de même un progrès incontestable pour
l'attractivité de notre pays et pour le partenariat avec les pays d'origine.
Certes, le dispositif de la carte « compétences et
talents » est perfectible. De ce point de vue, le débat à l'Assemblée
nationale a permis d'en améliorer le contenu. Ce soir, notre débat s'inscrit
dans la même perspective. Au terme de cette discussion, nous aurons amélioré
encore, j'en suis certain, le dispositif tel qu'il est ressorti des travaux de
l'Assemblée nationale.
Madame Khiari, je vous rassure : pour obtenir une carte
« compétences et talents », il ne faut être ni Einstein ni
Zidane ! (Exclamations ironiques sur les
travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ce n'est pas une
condition requise ! Le dispositif s'appliquera à des professeurs, à des
cadres, à des architectes, mais également à des artisans ou à des techniciens.
Les compétences et les talents n'excluent personne par principe.
Il s'agit d'avoir non pas un diplôme
« bac + 18 », mais un projet et des aptitudes pouvant être
utiles à la France et à son pays d'origine. À partir du moment où l'on réunit
ces deux aptitudes et où l'on a un projet qui permette de les concilier, on
devient parfaitement éligible à la carte « compétences et talents ».
En matière de circulation des compétences en faveur du
codéveloppement, je voudrais à présent répondre à quatre questions simples mais
essentielles.
Première question : à qui la carte est-elle
délivrée ? Elle est délivrée en fonction du profil de l'étranger et de son
projet. Nous prenons en compte l'intérêt de ce projet pour la France et, je le
répète, pour le pays dont l'étranger a la nationalité.
Certains sénateurs ont mentionné quelques exemples. Ainsi
MM. Badré et Legendre ont-ils évoqué le cas de l'Inde : l'appel à
des informaticiens indiens posera-t-il un problème à ce pays ? Aucunement,
bien au contraire ! Vous le savez, les indiens ont des informaticiens et
des techniciens dans le domaine de l'électronique à ne plus savoir qu'en
faire ! Pouvoir les accueillir chez nous serait même parfois rendre
service à l'Inde.
D'ailleurs, si nous ne les accueillons pas, ces
informaticiens et ces techniciens iront ailleurs, au Canada, aux États-Unis ou
en Australie.
En revanche, le problème du médecin malien ou béninois est
une réalité. Le phénomène que vous dénoncez s'agissant des pays africains a
commencé au début des années quatre-vingt-dix. Voilà quelques jours, Nicolas
Sarkozy s'est rendu en Afrique pour aborder ces questions.
Il a rencontré les chefs d'État africains et s'est entretenu
très clairement avec eux de ce dossier. Après cela, il a souhaité apporter une
réponse très claire et précise à ce problème dans le présent projet de loi.
De ce point de vue, il faut qu'il y ait un accord avec
l'État concerné. Nous le voulons impérativement. À l'heure actuelle, il n'y en
a pas, et c'est le désordre total. Dans le cadre d'un accord avec le pays
d'origine, nous pourrons accueillir un étudiant en médecine du pays concerné,
le former, l'amener au meilleur niveau, lui permettre d'exercer un temps et de
mettre ensuite cette compétence au service de son pays. C'est ainsi que nous
concevons l'échange et la circulation des compétences.
D'ailleurs, l'amendement n° 81 rectifié bis, déposé par
M. Portelli et également signé par MM. Mercier et Pelletier, vise
précisément à atteindre cet objectif.
Monsieur Pelletier, un étranger ayant la nationalité d'un
pays de la zone de solidarité prioritaire, c'est-à-dire d'un pays en voie de
développement, ne peut obtenir la carte « compétences et talents »
que dans les conditions définies par un accord bilatéral entre la France et son
pays.
Ainsi, le Sénégal et la France se mettront d'accord pour
définir précisément les critères d'éligibilité de la carte « compétences
et talents », en définissant les types de métiers et de projets qui
pourront être retenus. C'est donc un accord « gagnant-gagnant » qui
sera négocié.
Ce n'est que dans le cadre d'un tel accord que des cartes
« compétences et talents » seront délivrées à des ressortissants de
pays de la zone de solidarité prioritaire. C'est donc un outil de
codéveloppement tout à fait cohérent avec le dispositif du « compte
épargne codéveloppement », adopté hier à une très large majorité au
travers de l'amendement n°510 rectifié septies, sur l'initiative de Jacques
Pelletier. Ainsi l'amendement qui vous est proposé tend-il à compléter le
dispositif qui a été adopté ici même hier.
Deuxième question : quelles sont les obligations du
titulaire pendant son séjour en France ? À l'Assemblée nationale,
l'adoption d'un amendement déposé par Mme Boutin a permis d'apporter une
précision. Lorsque le bénéficiaire de la carte est originaire de la zone de
solidarité prioritaire, il est tenu de participer durant son séjour en France à
une action de coopération définie par la France et son pays d'origine. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'exclame.)
C'est la même logique du codéveloppement. Concrètement,
cette coopération personnelle de l'étranger sera précisée dans le cadre de
l'accord bilatéral. En pratique, nous mettrons ces personnes en relation avec
notre réseau d'aide au développement et les organisations non gouvernementales
intervenant dans ces pays.
Troisième question : à quelles conditions la carte
peut-elle être renouvelée ? La carte, qui est d'une durée de trois ans,
est en principe renouvelable. Mais nous voyons bien la nécessité de fixer une
limite, Monsieur Badré.
Le Gouvernement remercie donc M. Jacques Pelletier d'avoir
déposé l'amendement n° 106 rectifié bis, qui tend à résoudre cette
difficulté.
Si cet amendement est adopté, la carte de séjour
« compétences et talents » délivrée à un ressortissant d'un pays de
la zone de solidarité prioritaire sera renouvelée une fois au plus. La règle
est donc claire. Le titulaire de cette carte effectue un séjour de trois ans,
voire un second séjour de trois ans, puis il retourne dans son pays d'origine.
Quatrième et dernière question : comment ce dispositif
fonctionnera-t-il en pratique ? La carte sera délivrée par le ministère de
l'intérieur dans une logique de guichet unique. Les critères de délivrance
seront précisés par une commission ad hoc, qui évaluera le dispositif au regard
de sa contribution au codéveloppement.
Le sous-amendement n° 528, que M. Badré et
les membres du groupe de l'UC-UDF ont déposé à l'amendement n° 24 de M. le
rapporteur, vise à préciser un élément extrêmement important. Je tiens à en
remercier les auteurs. Si cet amendement est adopté, la demande de carte sera
adressée au consul lorsque l'étranger réside à l'étranger, et au préfet lorsque
l'étranger réside en France.
Cela signifie que nous pourrons tout à fait délivrer cette
carte à des étrangers qui sont déjà présents sur notre territoire, bien entendu
en situation régulière, et qui ont une autre carte de séjour au statut moins
avantageux. Le dispositif « compétences et talents » n'est pas fermé
aux étrangers déjà présents sur notre sol, bien au contraire.
Vous avez raison, Monsieur Badré. Pourquoi la carte
« compétences et talents » et les avantages qui y sont liés - je
pense notamment au regroupement familial - pourraient-ils bénéficier aux
étrangers qui ne sont pas encore en France et qui y seraient acceptés du fait
de ce dispositif, alors que les travailleurs étrangers qui sont actuellement en
France et qui remplissent les mêmes critères en seraient exclus ?
C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à votre sous-amendement,
qui s'inscrit dans cette perspective.
Je souhaite à présent revenir sur les différents
amendements.
Les amendements identiques nos164 et 304 tendent
à supprimer l'article 12. Nous y sommes bien évidemment
défavorables ; cela ne vous étonnera d'ailleurs pas !
Nous ne devons en effet pas priver la France et les pays en
voie de développement d'un tel outil de coopération.
Je remercie une nouvelle fois M. Badré d'avoir
clairement annoncé que son groupe envisageait le retrait de l'amendement n° 513
rectifié bis. En effet, non seulement M. Badré ne demande plus la
suppression de la carte « compétences et talents », mais il se
déclare en plus prêt à en saluer l'importance si l'amendement n° 81
rectifié bis et le sous-amendement n° 528 sont adoptés, ce à quoi le
Gouvernement est très favorable.
Madame Assassi, l'amendement n° 305 tend à revenir à la
rédaction initiale du projet de loi. C'est donc plus une question de rédaction
que de principe. Lors de l'examen du présent projet de loi à l'Assemblée
nationale, le Gouvernement s'est rallié à la rédaction que vous proposez de
supprimer. Il émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
De même, madame Assassi, le Gouvernement est défavorable à
l'amendement n° 306, qui me semble relever d'un malentendu. Bien entendu,
les travailleurs manuels ou techniques ne sont pas exclus par principe de la
carte « compétences et talents ». Avec ironie, vous êtes même allée
un peu plus loin, en évoquant des sportifs de dimension planétaire et des artistes.
Je ne comprends pas pourquoi vous voyez toujours « rouge » sur de
tels sujets !
Vous devriez plutôt, à l'instar de Mme Isabelle Debré, dont
on connaît la sensibilité pour l'environnement, préférer le vert, couleur de
l'espérance...
Sincèrement, si on accorde la carte « compétences et
talents » à un danseur étoile, c'est non pas pour qu'il danse le flamenco
ou qu'il joue le toréador dans une corrida ! Nous souhaitons apporter des
réponses précises à des hommes et des femmes qui peuvent être utiles tant à
leur pays qu'au nôtre.
Monsieur le rapporteur, nous ne pouvons bien évidemment
qu'être favorables à l'amendement de coordination n° 23.
Nous sommes également très favorables à l'amendement
n° 106 rectifié bis, qui est très important. Il vise à préciser de la
manière la plus claire que la carte « compétences et talents »
délivrée à un ressortissant de la zone de solidarité prioritaire sera
renouvelée une seule fois au plus.
De même, nous sommes très favorables à l'amendement
n° 81 rectifié bis, qui est essentiel, parce qu'il tend à formaliser la
nécessité d'un accord bilatéral entre la France et les pays de la zone de
solidarité prioritaire, dans le cadre duquel les cartes « compétences et
talents » seront délivrées.
Nous sommes aussi favorables à l'amendement n° 24, qui
est de nature rédactionnelle, ainsi qu'au sous-amendement n° 528, tendant
à préciser que la carte « compétences et talents » pourra être
délivrée à des étrangers déjà présents en France, sous couvert d'une autre
carte de séjour au statut moins avantageux. Il s'agit là d'une modification
importante du texte.
Nous sommes en revanche défavorables à l'amendement
n° 307. Je ne vois pas pourquoi on interdirait aux étrangers résidant à
l'étranger de présenter leur demande de carte « compétences et talents »
au sein du consulat de France présent dans le pays où ils résident.
Nous sommes également défavorables à l'amendement
n° 308, qui vise à supprimer la Commission nationale des compétences et
des talents. Je suis persuadé qu'il est utile que le Gouvernement s'entoure de
l'avis d'experts du développement, d'économistes, de représentants du monde
associatif et de représentants des collectivités locales qui pratiquent la
coopération décentralisée afin de préciser les critères de délivrance de la
carte et, plus encore, d'évaluer le dispositif au regard de sa contribution au
co-développement.
Nous sommes très favorables à l'amendement n° 25, qui
tend à préciser utilement que, lors du renouvellement de la carte
« compétences et talents » d'un étranger originaire de la zone de
solidarité prioritaire, il peut être tenu compte du non-respect de son
obligation de participation à une action de coopération.
Le Gouvernement est favorable au sous-amendement
n° 529, qui vise à améliorer ce dispositif, monsieur Karoutchi. L'autorité
délivrant la carte devra tenir compte du respect par l'étranger de son
obligation de coopération. Cela renforce considérablement la portée de
l'amendement que l'Assemblée nationale a adopté sur l'initiative de Mme Boutin.
Enfin, nous sommes favorables aux amendements rédactionnels
nos 26 et 27.
(…)
Mme la présidente. La parole
est à M. Denis Badré, pour explication de vote.
M. Denis Badré. J'ai
beaucoup insisté tout à l'heure, comme je l'avais fait dans la discussion
générale, sur la nécessité de favoriser le développement des pays les plus
pauvres.
Le codéveloppement dans le cadre d'accords bilatéraux
apparaît à cet égard comme un bon instrument. Ces accords permettent de prendre
en compte des actions de formation, par exemple, pour lesquelles des séjours à
l'étranger peuvent commencer à prendre un sens. De ce point de vue, la carte
« compétences et talents » ne doit pas être une finalité. À partir du
moment où elle est un instrument s'insérant, parmi d'autres, dans une politique
de codéveloppement fondée sur des accords bilatéraux, c'est moins grave et
l'argument selon lequel cette carte serait peu opérationnelle perd quelque peu
de sa pertinence. Les amendements de M. Portelli et de M. Pelletier me
rassurent sur ce point.
La seule objection de fond qui demeure est d'ordre
philosophique : distinguer entre immigrants utiles et immigrants inutiles
m'apparaît gênant ; tous sont des êtres humains qui souffrent.
Toutefois, cette objection peut également tomber à partir du
moment où l'on parle d'« immigration choisie » - et, si j'ai
bien compris, c'est l'engagement, monsieur le ministre, que vous êtes prêt à
prendre. Cela ne signifie pas que nous allons choisir, comme sur un marché,
parmi des gens qui souhaitent venir chez nous parce qu'ils cherchent d'abord à
fuir leur pays. Dès lors que ce n'est pas nous qui choisissons parmi ces
migrants, mais qu'il s'agit d'un choix partagé entre les pays d'origine et les
pays d'accueil, dès lors qu'est mise clairement en oeuvre une politique d'accords
bilatéraux dans laquelle chacun assume ses responsabilités, cette seconde
objection tombe et je retire mon amendement. (Applaudissements
sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. -
Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
(…)
Mme la présidente. Je mets
aux voix l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)