Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
20 avril 2006

Projet de loi sur l'immigration et l'intégration

badr_3621

Extraits du débat sur l'article 12 avec intervention de Denis Badré en séance de nuit, au Sénat, le 8 juin 2006.

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Badré, pour défendre l'amendement n° 513 rectifié bis.

M. Denis Badré. Un vrai débat, responsable, sérieux et approfondi, s'est instauré au sein du groupe de l'Union centriste-UDF sur cette question qui se trouve au coeur de notre discussion sur l'immigration.

Nous avons pesé tous les points de vue, dont beaucoup viennent d'être évoqués aussi bien par la droite que par la gauche. Certains ont développé des arguments en faveur de cet article, d'autres des arguments contre. J'ai bien entendu, notamment, ce qu'a dit M. Jacques Legendre.

Au terme d'une large réflexion, certains membres du groupe ont finalement décidé de déposer un amendement de suppression de l'article 12, afin de prendre leurs responsabilités sur ce sujet central.

Nous avons pris cette décision au regard de trois critères : pratique, opératoire - le jeu en vaut-il la chandelle ? - et philosophique.

L'aspect pratique ne me paraît pas le plus important des trois. Certes, nous avons retourné tous les problèmes et nous nous sommes aperçus que la mesure serait difficile à mettre en oeuvre. Des zones de flou et d'ombre subsistent. Quels métiers retiendra-t-on ? Pourquoi tel métier et pas tel autre ? Dans un métier donné, à partir de quand sera-t-on considéré comme compétent ? Quel type de recours pourrons-nous offrir aux professions exclues ou aux personnes exclues à l'intérieur d'une profession ?

Sur tous ces points, je fais confiance à ceux qui seront chargés de rédiger les textes d'application de l'article. J'imagine qu'ils arriveront à trouver des solutions à toutes ces questions afin d'éclaircir parfaitement le débat. Il me semble en effet nécessaire d'avancer sur des bases totalement claires.

Quoi qu'il en soit, je ne retiens que pour mémoire les arguments concernant le caractère pratique de la disposition.

J'en viens maintenant au caractère opératoire de la mesure.

Nous voulons maîtriser l'immigration. Dans la discussion générale (cf. intervention du 6 juin), j'ai insisté sur le fait que la meilleure manière de le faire consistait à traiter le problème à sa source, et donc à mettre en oeuvre résolument une vraie politique de codéveloppement.

J'ai insisté également sur le fait que la France n'y arriverait pas seule. Les États-Unis ne le feront jamais. C'est donc à l'Europe d'y procéder. Je demande donc à nouveau -  je l'ai fait l'autre jour et je le fais en toute occasion ces derniers temps - que la France continue, dans son intérêt, à tenir son rôle d'ouvreur dans la construction européenne en proposant à Bruxelles que l'Europe lance une grande politique de co-développement.

Ce serait bon pour l'Europe et ce serait bon pour l'image de la France en Europe. Par ailleurs, nos jeunes croiraient de nouveau en une Europe qui chercherait à atteindre ce type d'objectif.

J'insiste lourdement sur ce point, car c'est le coeur du problème !

À partir du moment où l'objectif est de mettre en place une politique de codéveloppement et où nous retenons que la meilleure manière de traiter le problème de l'immigration est de réduire la misère dans les pays d'origine des migrants, ne pillons pas leurs talents !

M. le ministre d'État, dans son intervention liminaire, l'a dit, et il a rappelé les conversions qu'il a eu notamment avec le président Abdoulaye Wade. C'est un vrai sujet.

Le discours que le président Wade nous adresse est exactement celui que nous adressons à nos partenaires américains lorsqu'ils retiennent chez eux nos post-doctorants, en les séduisant et en écrémant les meilleurs des nôtres !

Ils les retiennent, d'ailleurs, en leur offrant autre chose qu'une carte : des conditions de travail, des conditions financières, des conditions d'accueil avec lesquelles nous ne pouvons pas rivaliser. C'est pourquoi nos meilleurs post-doctorants restent aux États-Unis plutôt que de revenir en France.

Il ne faut donc pas refuser d'écouter le président Wade quand il nous dit la même chose que ce que nous disons aux Américains !

Même si nous devons rester très calmes face à ces réalités, nous sommes dans un monde difficile, dans un monde ouvert, et nous devons regarder les choses comme elles sont.

La mesure qui nous est proposée aujourd'hui vise finalement plus à fermer la porte à ceux qui n'ont pas de compétences qu'à l'ouvrir à ceux qui en ont ! (Mmes Bariza Khiari, groupe Socialiste, et Monique Cerisier-ben Guiga, groupe Socialiste, applaudissent.)

Mais, fermant la porte à ceux qui n'ont pas de compétences, nous ne les empêcherons pas de venir : ils souffrent dans leur pays, ils souffriront de le quitter, mais ils le quitteront tout de même, la mort dans l'âme, pour venir grossir chez nous les rangs des clandestins, car ils n'ont pas la possibilité de rester chez eux !

On ne traitera donc pas le problème de l'immigration en refusant une carte à certains immigrés. Ils viendront quand même, mais clandestinement !

En revanche, instaurer une telle carte n'attirera pas davantage les immigrés dont nous avons besoin. Ceux-là choisiront la France le jour où notre pays deviendra attractif.

Nous aurons gagné le jour où les post-doctorants français qui sont à Boston auront le souci, en fin d'études, de rentrer en France plutôt que de céder à l'appel des sirènes américaines. Nous aurons gagné lorsque le mathématicien indien, au lieu d'aller retrouver le mathématicien français à Boston, s'arrêtera en France, où le mathématicien français l'accueillera !

À ce moment-là, nous aurons gagné ! Mais ce n'est pas la carte « compétences et talents » qui amènera les uns ou les autres à choisir la France.

En résumé, la création d'une telle carte n'empêchera pas de venir ceux dont nous ne voulons pas, et elle n'incitera pas à venir ceux dont nous voulons. Elle n'est donc pas très opérante à cet égard.

Quand au dernier critère, l'aspect philosophique de cette affaire, je dois avouer que je suis gêné.

Je suis en effet gêné que la France établisse une distinction entre des immigrés qui seraient utiles et d'autres qui ne le seraient pas, car les uns et les autres sont des êtres humains !

Je suis également dérangé par le vocabulaire utilisé pour présenter les choses. D'un point de vue philosophique, je suis gêné d'entendre parler de bons et de mauvais immigrés !

Ce dernier aspect, finalement, me semble beaucoup plus important que les deux précédents, car j'aime bien être en accord avec ce que je pense profondément et humainement.

Cet article 12 pose donc problème à mon groupe.

Néanmoins, nous sommes très désireux de progresser sur le codéveloppement et sur une maîtrise de l'immigration, et non sur un choix. Si choix de l'immigration il devait y avoir, nous voulons que ce soit un choix pour tous, pour nous mais également pour ceux qui viendront.

Pour cette raison, nous avons considéré avec un très grand intérêt l'amendement n° 81 rectifié bis de M. Portelli, qui nous semble aller dans le sens de l'établissement de relations bilatérales entre les pays.

À ce moment-là, le choix de l'immigration devient, me semble-t-il, humainement acceptable. S'il y a un vrai débat, une vraie discussion, et si, souverainement, les uns et les autres dialoguent en se respectant mutuellement, nous pouvons accepter d'entrer dans une démarche qui ne serait plus du tout de même nature.

L'amendement n° 81 rectifié bis de M. Portelli nous convient, et un certain nombre des membres de mon groupe l'ont cosigné. Personnellement, j'étais prêt à le faire également, et je suis prêt à plaider tout à l'heure en sa faveur. J'ai d'ailleurs déposé un sous-amendement allant à peu près dans le même sens.

En fonction de la discussion, monsieur le ministre, si vous nous confirmez que vous avez la volonté d'avancer sur le problème du co-développement, que vous ferez tout pour que cette carte n'entrave pas ce codéveloppement que nous appelons de nos voeux, que vous essayerez de trouver des solutions pratiques respectueuses de toutes les souffrances qui sont en jeu, nous pourrions être appelés à considérer d'un autre oeil l'ensemble du sujet.

Quoi qu'il en soit, pour le moment, nous sommes très réservés sur cet article.

(…)

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 528, présenté par M. Badré et les membres du Groupe Union centriste-UDF, est ainsi libellé :

Remplacer la première phrase du second alinéa du texte proposé par l'amendement n° 24 pour l'article L. 315-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par deux phrases ainsi rédigées :

« Lorsque l'étranger souhaitant bénéficier d'une carte "compétences et talents" réside régulièrement en France, il présente sa demande auprès du représentant de l'État dans le département. Lorsque l'étranger réside hors de France, il présente sa demande auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises territorialement compétentes. »

La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Ce sous-amendement vise à élargir l'obtention de la carte aux étrangers résidant déjà sur le territoire français. Je pense par exemple aux étudiants ou à des actifs titulaires d'une carte de séjour de salarié.

En effet, beaucoup d'étudiants venant de pays en développement arrivent chez nous pour suivre un premier et un deuxième cycles. Ils s'inscrivent ensuite en troisième cycle aux États-Unis. Ils sont alors perdus pour leur pays et pour le nôtre !

Il faut parvenir à stabiliser ce type de compétences et de talents, soit dans le cadre de l'amendement n° 81 rectifié bis, soit pour un temps, comme le prévoit l'amendement n° 106 rectifié bis. Quoi qu'il en soit, il faut examiner le problème dans toutes ses dimensions. Le sous-amendement n° 528 vise donc à colmater cette voie d'eau particulière.

(…)

Mme la Présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Avant tout, je tiens à remercier les membres de la Haute Assemblée, qui, depuis que nous avons commencé à examiner l'article 12, ont à coeur de défendre leurs convictions.

Le débat a montré que chacun avait conscience, même si tout le monde n'est pas d'accord avec la réponse apportée par cet article aux problèmes que connaît notre pays, du fait que nous avions une vraie difficulté avec certains pays étrangers et, parfois, avec nous-mêmes.

Jacques Legendre a eu l'occasion de le souligner, comme d'autres intervenants d'ailleurs, lorsque nos propres étudiants sont aspirés par des universités américaines et qu'ils se voient ensuite proposer des postes avec une qualification et un niveau de rémunération que nous ne sommes pas capables de leur offrir, nous voyons que nous sommes nous-mêmes confrontés à des difficultés.

Dans cette compétition de compétences et de talents, qui dépasse notre seule dimension nationale, il était important que nous nous dotions d'une politique qui nous soit propre, dans le respect des autres. L'examen des précédents articles a mis l'accent sur cet aspect. Nous avons d'ailleurs eu un débat hier soir sur le financement du codéveloppement, notamment à propos de l'épargne provenant des revenus des travailleurs étrangers résidant en France.

Je voudrais que chacun soit convaincu que, avec l'article 12, le Gouvernement a non seulement eu la volonté de permettre l'accueil de cadres, de scientifiques, d'universitaires, de techniciens qualifiés étrangers afin de bénéficier de leurs compétences, mais qu'il a aussi eu le désir d'en faire bénéficier leurs pays d'origine et de renforcer notre vision du codéveloppement.

Comme Jacques Legendre vient de le dire, nous cherchons également à renforcer la francophonie et le rayonnement international de notre pays. À cet égard, je voudrais vous remercier, monsieur le sénateur, d'avoir rappelé que beaucoup de ressortissants étrangers souhaitant venir travailler en France - je pense notamment aux cadres - ont d'abord découvert la France en faisant l'apprentissage de notre langue.

Je vous remercie également d'avoir rappelé que ce n'est pas le Gouvernement qui fait appel à des cerveaux étrangers. Ce sont le plus souvent ces cerveaux qui demandent ardemment à venir en France.

Madame Boumediene-Thiery - je le dis de façon modérée -, vous avez choisi de vous exprimer avec un peu d'outrance en assimilant la création de la carte « compétences et talents » à une nouvelle forme de servitude. Je vous le rappelle, la servitude est l'attachement à un maître et à une terre. Or la carte « compétences et talents » est tout le contraire, puisqu'elle encourage la mobilité.

Vos reproches sont d'ailleurs tout à fait contradictoires. Ainsi, vous dites que nous ne nous intéressons qu'aux meilleurs. Mais le projet de loi comporte dans son article 10, et vous l'avez suffisamment dénoncé, une ouverture du marché du travail aux métiers moyennement ou peu qualifiés.

Par conséquent, lorsque vous vous exprimez sur l'article 12, vous ne pouvez pas prétendre que l'ensemble de notre politique en faveur du travail des étrangers se résumerait à ce seul article. En effet, nous avons déjà eu un grand débat sur l'article 10, précisément afin de permettre à un certain nombre de travailleurs non qualifiés d'accéder au marché du travail dans notre pays.

Comme vous pouvez le constater, le présent projet de loi prend bien en compte la diversité des situations.

Madame Cerisier-ben Guiga, ne faites pas semblant de n'avoir pas compris.

D'une part, la délivrance de la carte de séjour « compétences et talents » prendra en compte l'intérêt, tant pour la France que pour le pays d'origine, du projet présenté par l'étranger. C'est l'objet de l'article L. 315-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

D'autre part, le titulaire de cette carte devra apporter son concours au développement de son pays d'origine par une action de coopération pendant la durée de son séjour en France.

Pour illustrer le pillage des cerveaux, vous mentionnez le cas des médecins africains exerçant dans des hôpitaux français.

Mais une telle situation n'a pas pour origine la carte de séjour « compétences et talents », qui n'existe pas encore. S'il y a des médecins étrangers dans les hôpitaux français, ce n'est pas lié à cette carte !

Madame Cerisier-ben Guiga, savez-vous que, du 31 décembre 2001 au 1er janvier 2002, les services de santé publics et privés français ont perdu en moins de vingt-quatre heures 20 % de leur personnel du fait de l'application des 35 heures ?

(…)

M. Christian Estrosi, ministre délégué. En tout cas, ne me dites pas que ce serait à cause de la carte « compétences et talents » que nous serions aujourd'hui confrontés à un tel phénomène.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais nous n'avons jamais dit cela !

Mme Hélène Luc. Personne ne l'a dit !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je vous rappelle que la carte « compétences et talents » n'existe pas encore ! La situation que vous décrivez ne peut pas avoir pour origine un dispositif qui, je le répète, n'est pas encore appliqué,...

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Personne n'a prétendu une absurdité pareille !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... alors que l'exode des médecins africains a commencé au début des années quatre-vingt-dix.

Certes, la carte « compétences et talents » n'est pas la panacée.

Mme Hélène Luc. Il ne faut donc pas l'instituer !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. S'il vous plaît ! Nous avons eu un débat intéressant, qui n'est pas fini ! Nous avons tout notre temps et nous prendrons tout le temps qu'il faudra. Un tel débat le mérite vraiment, me semble-t-il. Il y a des contributions passionnantes sur toutes les travées de cet hémicycle, et je souhaite que chacune puisse être prise en compte.

Si elle n'est pas la panacée, la carte « compétences et talents » constitue tout de même un progrès incontestable pour l'attractivité de notre pays et pour le partenariat avec les pays d'origine.

Certes, le dispositif de la carte « compétences et talents » est perfectible. De ce point de vue, le débat à l'Assemblée nationale a permis d'en améliorer le contenu. Ce soir, notre débat s'inscrit dans la même perspective. Au terme de cette discussion, nous aurons amélioré encore, j'en suis certain, le dispositif tel qu'il est ressorti des travaux de l'Assemblée nationale.

Madame Khiari, je vous rassure : pour obtenir une carte « compétences et talents », il ne faut être ni Einstein ni Zidane ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ce n'est pas une condition requise ! Le dispositif s'appliquera à des professeurs, à des cadres, à des architectes, mais également à des artisans ou à des techniciens. Les compétences et les talents n'excluent personne par principe.

Il s'agit d'avoir non pas un diplôme « bac + 18 », mais un projet et des aptitudes pouvant être utiles à la France et à son pays d'origine. À partir du moment où l'on réunit ces deux aptitudes et où l'on a un projet qui permette de les concilier, on devient parfaitement éligible à la carte « compétences et talents ».

En matière de circulation des compétences en faveur du codéveloppement, je voudrais à présent répondre à quatre questions simples mais essentielles.

Première question : à qui la carte est-elle délivrée ? Elle est délivrée en fonction du profil de l'étranger et de son projet. Nous prenons en compte l'intérêt de ce projet pour la France et, je le répète, pour le pays dont l'étranger a la nationalité.

Certains sénateurs ont mentionné quelques exemples. Ainsi MM. Badré et Legendre ont-ils évoqué le cas de l'Inde : l'appel à des informaticiens indiens posera-t-il un problème à ce pays ? Aucunement, bien au contraire ! Vous le savez, les indiens ont des informaticiens et des techniciens dans le domaine de l'électronique à ne plus savoir qu'en faire ! Pouvoir les accueillir chez nous serait même parfois rendre service à l'Inde.

D'ailleurs, si nous ne les accueillons pas, ces informaticiens et ces techniciens iront ailleurs, au Canada, aux États-Unis ou en Australie.

En revanche, le problème du médecin malien ou béninois est une réalité. Le phénomène que vous dénoncez s'agissant des pays africains a commencé au début des années quatre-vingt-dix. Voilà quelques jours, Nicolas Sarkozy s'est rendu en Afrique pour aborder ces questions.

Il a rencontré les chefs d'État africains et s'est entretenu très clairement avec eux de ce dossier. Après cela, il a souhaité apporter une réponse très claire et précise à ce problème dans le présent projet de loi.

De ce point de vue, il faut qu'il y ait un accord avec l'État concerné. Nous le voulons impérativement. À l'heure actuelle, il n'y en a pas, et c'est le désordre total. Dans le cadre d'un accord avec le pays d'origine, nous pourrons accueillir un étudiant en médecine du pays concerné, le former, l'amener au meilleur niveau, lui permettre d'exercer un temps et de mettre ensuite cette compétence au service de son pays. C'est ainsi que nous concevons l'échange et la circulation des compétences.

D'ailleurs, l'amendement n° 81 rectifié bis, déposé par M. Portelli et également signé par MM. Mercier et Pelletier, vise précisément à atteindre cet objectif.

Monsieur Pelletier, un étranger ayant la nationalité d'un pays de la zone de solidarité prioritaire, c'est-à-dire d'un pays en voie de développement, ne peut obtenir la carte « compétences et talents » que dans les conditions définies par un accord bilatéral entre la France et son pays.

Ainsi, le Sénégal et la France se mettront d'accord pour définir précisément les critères d'éligibilité de la carte « compétences et talents », en définissant les types de métiers et de projets qui pourront être retenus. C'est donc un accord « gagnant-gagnant » qui sera négocié.

Ce n'est que dans le cadre d'un tel accord que des cartes « compétences et talents » seront délivrées à des ressortissants de pays de la zone de solidarité prioritaire. C'est donc un outil de codéveloppement tout à fait cohérent avec le dispositif du « compte épargne codéveloppement », adopté hier à une très large majorité au travers de l'amendement n°510 rectifié septies, sur l'initiative de Jacques Pelletier. Ainsi l'amendement qui vous est proposé tend-il à compléter le dispositif qui a été adopté ici même hier.

Deuxième question : quelles sont les obligations du titulaire pendant son séjour en France ? À l'Assemblée nationale, l'adoption d'un amendement déposé par Mme Boutin a permis d'apporter une précision. Lorsque le bénéficiaire de la carte est originaire de la zone de solidarité prioritaire, il est tenu de participer durant son séjour en France à une action de coopération définie par la France et son pays d'origine. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'exclame.)

C'est la même logique du codéveloppement. Concrètement, cette coopération personnelle de l'étranger sera précisée dans le cadre de l'accord bilatéral. En pratique, nous mettrons ces personnes en relation avec notre réseau d'aide au développement et les organisations non gouvernementales intervenant dans ces pays.

Troisième question : à quelles conditions la carte peut-elle être renouvelée ? La carte, qui est d'une durée de trois ans, est en principe renouvelable. Mais nous voyons bien la nécessité de fixer une limite, Monsieur Badré.

Le Gouvernement remercie donc M. Jacques Pelletier d'avoir déposé l'amendement n° 106 rectifié bis, qui tend à résoudre cette difficulté.

Si cet amendement est adopté, la carte de séjour « compétences et talents » délivrée à un ressortissant d'un pays de la zone de solidarité prioritaire sera renouvelée une fois au plus. La règle est donc claire. Le titulaire de cette carte effectue un séjour de trois ans, voire un second séjour de trois ans, puis il retourne dans son pays d'origine.

Quatrième et dernière question : comment ce dispositif fonctionnera-t-il en pratique ? La carte sera délivrée par le ministère de l'intérieur dans une logique de guichet unique. Les critères de délivrance seront précisés par une commission ad hoc, qui évaluera le dispositif au regard de sa contribution au codéveloppement.

Le sous-amendement n° 528, que M. Badré et les membres du groupe de l'UC-UDF ont déposé à l'amendement n° 24 de M. le rapporteur, vise à préciser un élément extrêmement important. Je tiens à en remercier les auteurs. Si cet amendement est adopté, la demande de carte sera adressée au consul lorsque l'étranger réside à l'étranger, et au préfet lorsque l'étranger réside en France.

Cela signifie que nous pourrons tout à fait délivrer cette carte à des étrangers qui sont déjà présents sur notre territoire, bien entendu en situation régulière, et qui ont une autre carte de séjour au statut moins avantageux. Le dispositif « compétences et talents » n'est pas fermé aux étrangers déjà présents sur notre sol, bien au contraire.

Vous avez raison, Monsieur Badré. Pourquoi la carte « compétences et talents » et les avantages qui y sont liés - je pense notamment au regroupement familial - pourraient-ils bénéficier aux étrangers qui ne sont pas encore en France et qui y seraient acceptés du fait de ce dispositif, alors que les travailleurs étrangers qui sont actuellement en France et qui remplissent les mêmes critères en seraient exclus ?

C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à votre sous-amendement, qui s'inscrit dans cette perspective.

Je souhaite à présent revenir sur les différents amendements.

Les amendements identiques nos164 et 304 tendent à supprimer l'article 12. Nous y sommes bien évidemment défavorables ; cela ne vous étonnera d'ailleurs pas !

Nous ne devons en effet pas priver la France et les pays en voie de développement d'un tel outil de coopération.

Je remercie une nouvelle fois M. Badré d'avoir clairement annoncé que son groupe envisageait le retrait de l'amendement n° 513 rectifié bis. En effet, non seulement M. Badré ne demande plus la suppression de la carte « compétences et talents », mais il se déclare en plus prêt à en saluer l'importance si l'amendement n° 81 rectifié bis et le sous-amendement n° 528 sont adoptés, ce à quoi le Gouvernement est très favorable.

Madame Assassi, l'amendement n° 305 tend à revenir à la rédaction initiale du projet de loi. C'est donc plus une question de rédaction que de principe. Lors de l'examen du présent projet de loi à l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'est rallié à la rédaction que vous proposez de supprimer. Il émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

De même, madame Assassi, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 306, qui me semble relever d'un malentendu. Bien entendu, les travailleurs manuels ou techniques ne sont pas exclus par principe de la carte « compétences et talents ». Avec ironie, vous êtes même allée un peu plus loin, en évoquant des sportifs de dimension planétaire et des artistes. Je ne comprends pas pourquoi vous voyez toujours « rouge » sur de tels sujets !

Vous devriez plutôt, à l'instar de Mme Isabelle Debré, dont on connaît la sensibilité pour l'environnement, préférer le vert, couleur de l'espérance...

Sincèrement, si on accorde la carte « compétences et talents » à un danseur étoile, c'est non pas pour qu'il danse le flamenco ou qu'il joue le toréador dans une corrida ! Nous souhaitons apporter des réponses précises à des hommes et des femmes qui peuvent être utiles tant à leur pays qu'au nôtre.

Monsieur le rapporteur, nous ne pouvons bien évidemment qu'être favorables à l'amendement de coordination n° 23.

Nous sommes également très favorables à l'amendement n° 106 rectifié bis, qui est très important. Il vise à préciser de la manière la plus claire que la carte « compétences et talents » délivrée à un ressortissant de la zone de solidarité prioritaire sera renouvelée une seule fois au plus.

De même, nous sommes très favorables à l'amendement n° 81 rectifié bis, qui est essentiel, parce qu'il tend à formaliser la nécessité d'un accord bilatéral entre la France et les pays de la zone de solidarité prioritaire, dans le cadre duquel les cartes « compétences et talents » seront délivrées.

Nous sommes aussi favorables à l'amendement n° 24, qui est de nature rédactionnelle, ainsi qu'au sous-amendement n° 528, tendant à préciser que la carte « compétences et talents » pourra être délivrée à des étrangers déjà présents en France, sous couvert d'une autre carte de séjour au statut moins avantageux. Il s'agit là d'une modification importante du texte.

Nous sommes en revanche défavorables à l'amendement n° 307. Je ne vois pas pourquoi on interdirait aux étrangers résidant à l'étranger de présenter leur demande de carte « compétences et talents » au sein du consulat de France présent dans le pays où ils résident.

Nous sommes également défavorables à l'amendement n° 308, qui vise à supprimer la Commission nationale des compétences et des talents. Je suis persuadé qu'il est utile que le Gouvernement s'entoure de l'avis d'experts du développement, d'économistes, de représentants du monde associatif et de représentants des collectivités locales qui pratiquent la coopération décentralisée afin de préciser les critères de délivrance de la carte et, plus encore, d'évaluer le dispositif au regard de sa contribution au co-développement.

Nous sommes très favorables à l'amendement n° 25, qui tend à préciser utilement que, lors du renouvellement de la carte « compétences et talents » d'un étranger originaire de la zone de solidarité prioritaire, il peut être tenu compte du non-respect de son obligation de participation à une action de coopération.

Le Gouvernement est favorable au sous-amendement n° 529, qui vise à améliorer ce dispositif, monsieur Karoutchi. L'autorité délivrant la carte devra tenir compte du respect par l'étranger de son obligation de coopération. Cela renforce considérablement la portée de l'amendement que l'Assemblée nationale a adopté sur l'initiative de Mme Boutin.

Enfin, nous sommes favorables aux amendements rédactionnels nos 26 et 27.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Badré, pour explication de vote.

M. Denis Badré. J'ai beaucoup insisté tout à l'heure, comme je l'avais fait dans la discussion générale, sur la nécessité de favoriser le développement des pays les plus pauvres.

Le codéveloppement dans le cadre d'accords bilatéraux apparaît à cet égard comme un bon instrument. Ces accords permettent de prendre en compte des actions de formation, par exemple, pour lesquelles des séjours à l'étranger peuvent commencer à prendre un sens. De ce point de vue, la carte « compétences et talents » ne doit pas être une finalité. À partir du moment où elle est un instrument s'insérant, parmi d'autres, dans une politique de codéveloppement fondée sur des accords bilatéraux, c'est moins grave et l'argument selon lequel cette carte serait peu opérationnelle perd quelque peu de sa pertinence. Les amendements de M. Portelli et de M. Pelletier me rassurent sur ce point.

La seule objection de fond qui demeure est d'ordre philosophique : distinguer entre immigrants utiles et immigrants inutiles m'apparaît gênant ; tous sont des êtres humains qui souffrent.

Toutefois, cette objection peut également tomber à partir du moment où l'on parle d'« immigration choisie » - et, si j'ai bien compris, c'est l'engagement, monsieur le ministre, que vous êtes prêt à prendre. Cela ne signifie pas que nous allons choisir, comme sur un marché, parmi des gens qui souhaitent venir chez nous parce qu'ils cherchent d'abord à fuir leur pays. Dès lors que ce n'est pas nous qui choisissons parmi ces migrants, mais qu'il s'agit d'un choix partagé entre les pays d'origine et les pays d'accueil, dès lors qu'est mise clairement en oeuvre une politique d'accords bilatéraux dans laquelle chacun assume ses responsabilités, cette seconde objection tombe et je retire mon amendement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

(…)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)

 

Publicité
Commentaires
ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
Publicité
Derniers commentaires
Publicité