Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
18 avril 2006

Projet de loi sur l'immigration et l'intégration

badr_362

Intervention de Denis Badré en séance, au Sénat, le 6 juin 2006

M. Denis Badré. Monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, c'est banal, cela a été dit à de nombreuses reprises, mais je le répète d'emblée : votre projet revient sur un vrai sujet.

Les migrations sont en effet toujours vécues de manière dramatique par ceux qui y sont acculés, tant il est vrai que l'on ne quitte jamais de gaieté de coeur ses proches et ses racines. Elles suscitent souvent des passions dans les pays d'accueil, dont les habitants, généralement guère à l'aise avec cette question, préfèrent fuir le débat et font trop vite de l'immigré un bouc émissaire tout trouvé pour nombre de leurs maux : insécurité, chômage, difficultés à trouver un emploi, une place en crèche, poids des impôts, par exemple.

Quel maire n'a jamais entendu de telles réactions ? Et qui, cependant, parmi nous, ne mesure les risques de dérapage et, en même temps, sa responsabilité lorsqu'il entend réclamer que soit donnée la « priorité aux nationaux » ou préconiser le repli sur soi ou le protectionnisme ?

Ce sujet est extraordinairement sensible aux yeux de nos compatriotes et pour notre société.

C'est un vrai sujet pour la famille humaine, qui ne peut voir indifféremment deux cents millions des siens emportés par ces déracinements - monsieur le ministre d'État, j'arrondis le chiffre de cent soixante-dix que vous nous avez donné tout à l'heure.

C'est un vrai sujet aussi pour les fragiles équilibres de notre monde, remis en cause par des inégalités de développement qui se creusent sans cesse, par la multiplication qui s'ensuit de guerres ouvertes ou de conflits plus obscurs mais non moins épouvantables.

C'est un vrai sujet enfin pour notre pays, que nous aimerions voir toujours à la hauteur de sa réputation de terre d'accueil, même si, dans le même temps, la pression n'a jamais été aussi forte, alors que les difficultés des temps limitent nos moyens.

À une vraie question, il faut une ou de vraies réponses.

Monsieur le ministre d'État, des réponses, vous nous en proposez. C'est même le deuxième texte que nous examinons sur le sujet, et de manière tellement rapprochée que toutes les mesures d'application du premier ne sont pas encore publiées.

Celui-ci pourra-t-il entrer en vigueur d'ici à un an ? Si, grâce à nos amendements, qui sont excellents (Sourires), nous arrivons à un bon texte, ce serait bien. Mais ne rêvons pas : le temps est compté !

Au demeurant, la sensibilité et la complexité du sujet devraient plutôt nous pousser à prendre le temps - s'agissant notamment des textes d'application - de procéder aux réflexions nécessaires et à nous entourer de toutes les précautions voulues. Nous pensons vraiment qu'en ce domaine où s'exacerbent déjà de profondes passions, il serait sage de nous mettre au moins à l'abri de celles que font naître les temps électoraux. Donner le temps à la réflexion permettrait d'ailleurs d'approfondir certains aspects d'une politique qui ne peut qu'être très largement interministérielle pour être équilibrée et comprise par tous, même si vous la coordonnez, monsieur le ministre d'État.

Nous regrettons enfin que vous n'apportiez pas davantage de réponses à la question incontournable des clandestins, déjà largement évoquée par notre rapporteur, François-Noël Buffet.

Élus locaux, nous en avons tous rencontré, de ces clandestins. Et nous savons qu'il n'est pas facile de briser le cercle vicieux selon lequel il faut des papiers pour prétendre à un emploi ou à un logement - mais pas à une place à l'école -, et il faut un emploi et un logement pour espérer des papiers ! Tout cela est une incitation au travail au noir, au logement informel, inavouable. Bref, c'est l'impasse.

À cet égard, un maître mot doit nous guider : déconcentration. Si les principes généraux doivent évidemment être nationaux, on ne juge bien que de près. Et c'est possible de le faire.

Je veux ici rendre hommage à l'engagement humain et responsable des préfets saisis de tels dossiers. Monsieur le ministre d'État, vous en connaissez beaucoup plus que moi au plan national, bien sûr, mais vous connaissez notamment ceux qui se sont succédé dans notre département aussi bien que moi, et vous savez quelle attitude responsable et humaine ils ont sur ce type de sujet. Tel est le cas de tous ceux que nous avons rencontrés au cours des dernières années. Responsabilisez-les et faites leur confiance ! Je pense qu'ils feront du bon travail, notamment avec les élus locaux.

Mes collègues Muguette Dini et Adrien Giraud interviendront tout à l'heure pour vous alerter sur un certain nombre de points très précis ; je ne m'arrête donc qu'un instant pour vous livrer quelques observations.

Malgré son titre, votre projet de loi traite beaucoup plus d'immigration que d'intégration ; c'est sans doute dommage. Comment gérer les problèmes que posent les regroupements familiaux sans sacrifier le droit à vivre en famille ? Est-il possible de combattre les usages abusifs du droit d'asile sans remettre celui-ci en cause ? Surtout, est-il encore justifié de développer une politique nationale d'immigration pour un État membre d'une Union européenne qui a effacé ses frontières intérieures ?

Quelles que soient les difficultés que vit l'Union, je n'imagine pas un instant que l'on puisse revenir sur cette réalité. Il faut donc la prendre en compte et s'inscrire dans ce contexte.

Je me place donc maintenant dans ce contexte européen.

La stratégie de Lisbonne souligne à juste titre la nécessité de développer notre effort de recherche si nous voulons pouvoir continuer à rivaliser avec nos concurrents les plus en avance. Ce faisant - puisque cette politique ne peut que porter ses fruits -, nous resterons dans la course parmi les pays les plus en avance, mais, avec eux, nous distancerons toujours davantage ceux qui sont en retard. Le fossé se creusera de plus en plus entre les pays en avance et ceux qui sont en mal de développement.

Il est donc non moins impératif de coupler avec une politique scientifique européenne résolue une politique de coopération et de développement non moins résolue, cohérente, complète, visant au développement des pays les plus pauvres. Georges Othily ne disait pas autre chose à l'instant.

Nous progresserons alors sur deux des sujets qui sont au coeur des préoccupations de nos compatriotes, à savoir l'immigration et les délocalisations. Ces deux sujets ne peuvent être dissociés l'un de l'autre. J'y reviendrai lorsque je traiterai tout à l'heure des flux d'immigration choisie.

Lorsque je parlais d'interministérialité, à l'instant, c'est en particulier à cette dimension du développement que je pensais. C'est en intervenant ainsi, à la source des difficultés, que nous pourrons vraiment justifier une politique d'immigration et d'intégration, lui donner du sens et l'équilibrer. Et, comme toute politique d'immigration, une politique efficace de développement ne peut plus être qu'européenne.

L'Européen convaincu que je suis redit ici qu'il verrait d'ailleurs dans l'annonce et dans la mise en oeuvre d'une telle politique au niveau européen une très belle occasion de faire redémarrer l'Europe. Cela conduirait en effet les États à relativiser les enjeux de leurs débats actuels pour se retrouver enfin autour d'un objectif d'intérêt commun évident, au moins aussi important aujourd'hui que l'était la paix en 1950. Les jeunes pourraient trouver là une occasion de relever le vrai défi opposé à leur génération. La construction européenne, enfin, renouerait avec son idéal.

J'ajoute que je serais vraiment heureux que ce soit la France qui en fasse la proposition. Tournant le dos à l'arrogance qui a pu lui être reprochée, comme à un quelconque sentiment de culpabilité, elle reprendrait alors naturellement, sur un vrai sujet de fond, sa place d'ouvreur au service de ses partenaires et de l'Union.

Il est clair qu'il ne peut s'agir simplement de relever la part de PIB consacrée à l'aide au développement, mais qu'il faut fonder une politique digne de ce nom sur une prise de conscience globale. Il faut avoir à l'esprit, d'une part, que les guerres sont toujours plus chèrement payées par les pays pauvres, d'autre part, que lorsque nos pays développés cèdent à la facilité des déficits publics, ils préemptent les disponibilités financières internationales et en privent ceux qui en auraient le plus besoin, enfin, qu'en limitant l'accès à nos marchés, nous poussons les plus pauvres à sacrifier protection sociale et environnement.

Je pourrais allonger cette liste en montrant que nombre de nos politiques aggravent la situation et en évoquant le manque d'eau potable, les carences en termes d'éducation, de santé, de protection sociale, de démocratie ou de liberté, ou encore la lutte contre la corruption. Mais vous auriez peut-être le sentiment que je m'éloigne du sujet. En réalité, c'est bien de cela qu'il nous faut débattre maintenant. C'est cela que nous aurions aimé trouver dans votre texte.

Pris par l'urgence, vous êtes allés directement au traitement des conséquences. Même s'il est électoral, et peut-être justement parce qu'il est électoral, le temps n'était-il pas venu d'aller au fond de la question ?

Je ferai une petite remarque en passant : « choisir » ses immigrés va à l'encontre de tout ce que je viens de dire. Ceux dont les compétences nous intéressent sont en général les mêmes dont leurs pays d'origine ont le plus grand besoin. Entendons donc ce que les dirigeants africains vous ont dit la semaine dernière, message que vous avez d'ailleurs repris dans votre intervention, monsieur le ministre d'État. Cela ne devrait pas être trop difficile : leur discours ne ressemble-t-il pas en effet, à s'y méprendre, à celui que nous tenons nous-mêmes pour déplorer la « fuite de nos cerveaux » vers des pays plus attractifs que le nôtre ?

Tout est relatif en ce bas monde. Nous éprouvons donc une certaine difficulté à nous situer. Puisse ce texte nous y aider.

Pour ce qui nous concerne, au-delà d'une politique d'immigration qui est, selon vos propres termes, la solution, il nous faut surtout une politique générale, rendant notre pays attractif pour les meilleurs, d'où qu'ils viennent. Nous aurons gagné lorsque les meilleurs jeunes Français partis aux États-Unis faire un post-doctorat, choisiront de revenir en France à l'issue de leur séjour, au lieu de céder aux sirènes locales. Nous aurons gagné lorsque, comme vous le disiez tout à l'heure, les jeunes Indiens choisiront d'emblée de s'arrêter en France ou en Europe plutôt que d'aller directement à Boston.

Je mise beaucoup, pour y parvenir, sur les relations bilatérales renforcées qu'il convient d'établir avec les pays d'origine des migrants. Vous y avez insisté tout à l'heure, mais j'y reviens. Ces relations sont indispensables si nous voulons pouvoir parler vraiment un jour d'immigration « choisie » par les uns et par les autres, par les migrants et par les pays d'accueils, et non pas par nous seuls.

Pour conclure, je dirai simplement que, s'il est évidemment nécessaire de clarifier les règles et d'instaurer de la rigueur dans notre façon de gérer l'immigration, il nous faut nous méfier d'approches au premier degré qui donneraient, dans l'instant, l'illusion d'un progrès.

Cette rigueur dans les procédures et dans leur application est indispensable si nous voulons réconcilier les Français avec la tradition d'accueil de leur pays. Simplement, n'oublions jamais que tout ce qui précarise les hommes défait la société, et que tout ce qui précarise les peuples met le monde en danger. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Publicité
Commentaires
ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
Publicité
Derniers commentaires
Publicité