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ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
15 février 2006

Loi de programme pour la recherche

badrece37

Intervention de Denis Badré, en séance publique au Sénat, le 16 mars sur la loi de programme pour la recherche

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous indique d'emblée que le groupe de l'UC-UDF votera ce projet de loi de programme pour la recherche. Vous aurez ainsi l'esprit libéré pour que nous puissions ensemble aller plus loin sur les questions de fond.

Notre collègue Ivan Renar disait à l'instant que ce texte mettait en péril la recherche française et la France, je ne le pense pas. Nous considérons, au sein du groupe de l'UC-UDF, que le projet de loi va dans le bon sens, mais nous restons sur notre faim. Nous regrettons qu'il n'aille pas plus loin, qu'il ne nous donne pas plus d'arguments dans une compétition mondiale difficile. Il ne faudra pas, monsieur le ministre, que vous en restiez à cette loi. Elle n'est à la hauteur ni des enjeux que nous devons relever, ni des espérances qui étaient les nôtres.

Lorsque la commission spéciale présidée par Jacques Valade a été mise en place, nous pensions que le Parlement, fort de ses travaux préliminaires, allait pouvoir faire son travail de législateur en allant le plus loin et le plus complètement possible sur le fond. Si nous nous sommes félicités que le Sénat soit saisi en premier de cette loi de programme, ce qui a permis de valoriser les travaux de la commission spéciale, nous avons regretté que les débats aient eu lieu à la sauvette entre l'examen de la loi de finances initiale et celui de la loi de finances rectificative, ce qui n'est pas la meilleure période pour mobiliser les membres de la commission des finances.

Nous avons surtout déploré que ce texte soit déclaré d'urgence, ce qui nous a privés d'un dialogue avec l'Assemblée nationale, laquelle aurait certainement fait son miel des réflexions de notre commission spéciale et, plus généralement, du Sénat. Cela n'a pas été possible, et c'est bien dommage. À force de déposer tous les textes en urgence, il n'y a plus d'urgence. Nous avons de plus en plus tendance à confondre l'urgence et l'importance. Or, selon moi, plus un texte est important, moins il doit être traité dans l'urgence, plus il convient de se donner les moyens d'une vraie réflexion sur le fond pour aboutir à de solides conclusions.

Bref, nous n'avons pas travaillé dans les meilleures conditions, et je le regrette.

Nous aurions pu aller plus loin sur plusieurs sujets, probablement sur le statut et la carrière des chercheurs et certainement sur l'autonomie des universités et des centres de recherche.

À cet égard, la contrepartie de l'autonomie, et donc de la liberté, c'est l'exigence, notamment l'exigence de résultats. Nous devons développer une vraie réflexion sur ce point.

Nous devons également considérer que la mobilité est une contrepartie de l'autonomie. Elle est la condition d'une confrontation des idées, du développement de la curiosité de chacun, de l'échange, de la stimulation. Elle est, par ailleurs, le cadre d'un bon usage de la liberté.

Qu'elle soit publique ou privée, universitaire ou relevant de centres spécifiques, la recherche est excessivement cloisonnée, comme l'est, plus généralement, notre société. Cette caractéristique constitue un problème fondamental pour notre recherche nationale. Notre pays compte autant de chapelles que de secteurs, et l'université plus encore que n'importe quel autre secteur du pays. Or la recherche doit montrer l'exemple de l'ouverture sur la société et sur le monde. Si la recherche ne le fait pas, qui le fera ?

C'est aujourd'hui un objectif fondamental pour notre société. S'il faut décloisonner l'université, il faut plus encore décloisonner les mentalités. Les esprits ne sont pas suffisamment ouverts dans notre pays. À cet égard, je voudrais citer deux exemples qui m'ont particulièrement frappé lorsque je présidais la mission d'information sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises.

Aux États-Unis, un chercheur entrepreneur que nous avons rencontré nous a expliqué le processus. À partir du moment où le chercheur valorise les résultats de sa recherche, il est le mieux placé pour le faire, parce qu'il connaît le mieux son sujet et qu'il est motivé. Ainsi il va réussir dans son entreprise de recherche. Comme il reste profondément chercheur avant d'être entrepreneur, il va réinvestir les résultats de son entreprise dans la recherche, et l'effet « boule de neige » est engagé ! C'est ce que nous ne savons pas suffisamment faire en France.

Nous avons également rencontré des Français ayant fondé une entreprise aux États-Unis - et ils sont nombreux. L'un d'entre eux nous a expliqué que son entreprise, qui n'avait pas de chiffre d'affaires ni de capital, avait néanmoins une grande valeur. Cette entreprise de recherche sur le génome de la jeunesse faisait travailler une dizaine de chercheurs, rétribués grâce aux dotations de fondations américaines. Le chercheur entrepreneur n'avait pas de capital parce qu'il voulait rester indépendant et ne générait pas de chiffre d'affaires parce qu'il attendait de pouvoir vendre ses produits dans les meilleures conditions. Et cela faisait dix ans que ses recherches étaient financées et que son entreprise fonctionnait !

En France, nous n'imaginerions pas un seul instant un chef d'entreprise sans chiffre d'affaires ni capital aller demander de l'argent à son banquier. Il ne pourrait pas développer son entreprise et serait immédiatement obligé de mette la clé sous la porte !

Il faut donc modifier les mentalités dans notre pays pour arriver à cette nouvelle conception de l'insertion de l'entreprise de recherche dans notre société ; sinon, nous n'irons pas loin.

Si nous plaidons pour l'autonomie, il convient également de favoriser la diversité des situations.

Alors que je montais à la tribune, le président Jacques Valade m'a demandé en aparté si j'allais parler des grandes écoles. Je vais le faire, mais indirectement. Nous avons plusieurs modèles dans notre pays et nous devons envisager cette diversité comme une richesse. Il ne faut pas sans arrêt opposer le lobby des grandes écoles à celui des universités.

Les lobbies, quels qu'ils soient, sont détestables. Les filières ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients ; il faut les faire travailler ensemble pour qu'elles donnent le meilleur d'elles-mêmes à la société. Les grandes écoles sont bonnes parce qu'elles sont petites, et les universités sont bonnes lorsqu'elles savent être grandes. Nous devons faire en sorte qu'elles apportent, complémentairement, les progrès et la dynamique de l'innovation dont notre pays a besoin.

Par exemple, les grandes écoles ont réalisé un progrès fantastique lorsqu'elles ont mis en place des formations par la recherche.

Il est tout aussi formateur, sinon plus, pour un étudiant d'une grande école qui se destine à être ingénieur, de réaliser un vrai travail de recherche pendant une année que d'être sur les bancs de l'université ou en stage dans une entreprise.

Nous faisons ainsi la démonstration que la formation n'est pas simplement destinée à développer les connaissances, mais qu'elle vise également à apprendre à traiter les problèmes selon des approches radicalement différentes. Les chercheurs ont beaucoup à nous apprendre en ce domaine. Décloisonnez, il en restera toujours quelque chose ! (Sourires.)

Avant de conclure, je voudrais intervenir brièvement au sujet de la compétitivité et de l'Europe.

Le rapport de la mission d'information sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises conclut que les compétences françaises, demandées dans le monde entier, sont bonnes.

Il faut arrêter de dénigrer le système français de formation et de recherche puisqu'il donne de bons chercheurs. Malheureusement, ces bons chercheurs ne sont pas en France, mais à Boston... Il faut donc qu'ils puissent travailler en France, en relation avec ceux de Boston. Dès lors, nous aurons progressé.

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que vous alliez augmenter les effectifs de chercheurs en France. C'est très bien, mais cela ne servira à rien si nous n'attirons pas les meilleurs sur ces postes de recherche.

À cet égard, je me dois de rappeler que nous sommes maintenant sous le régime de la LOLF ; le président Jean Arthuis ne me pardonnerait pas une telle omission en cet instant !

Il est un critère que je pourrais proposer de retenir pour rester dans le cadre de la LOLF, et qui nous permettrait d'évaluer cet effort que vous allez faire. Il s'agit, très concrètement, de nous « caler » sur notre capacité à faire revenir en France les meilleurs étudiants français partis faire leur post-doctorat aux États-Unis.

Le jour où ces post-doctorants décideront de revenir en France, plutôt que de continuer à céder au chant des sirènes américaines, nous aurons fait notre travail. Car tel doit être notre objectif, et non pas l'augmentation indéfinie du nombre de postes.

Au lieu de multiplier sans cesse les postes, nous devrions faire en sorte que les postes existants soient occupés par les meilleurs Français, et, si possible également, par les meilleurs Indiens ! Arrêtons au passage les mathématiciens indiens qui sont aussi bons que les nôtres ; faisons en sorte que nos mathématiciens et les mathématiciens indiens se retrouvent non plus à Boston, mais en France ! (Sourires.)

Nous acquerrons peut-être ainsi une capacité non seulement à soutenir et à développer notre appareil de recherche, mais également à favoriser un dialogue lorsque se poseront des problèmes tels que celui que nous avons connu avec Mittal Steel. Sur ce point, également, il me semble que nous avons un énorme effort à accomplir pour faire évoluer les mentalités.

Cet effort, je l'ai dit, implique une insertion dans un projet européen ; M. Valade l'a souligné, mais je tiens à insister un peu lourdement sur cet aspect des choses, ce qui ne devrait pas étonner outre mesure ceux qui me connaissent un peu !

Pour ma part, je suis persuadé qu'aujourd'hui la France ne pourra pas développer seule un projet scientifique susceptible de nous mettre en situation de compétitivité avec les États-Unis. Ce n'est qu'à l'échelon européen que nous parviendrons à un tel résultat.

Alors que notre recherche a tant donné à notre vieux continent, nous sommes incapables, aujourd'hui, de conduire une politique scientifique européenne digne de ce nom. La politique scientifique européenne en est au stade de la préhistoire ! Nous sommes encore en train de nous demander si le budget civil de recherche et de développement et le programme de recherche et de développement sont compatibles entre eux ou non ! Les chercheurs essaient de voir s'ils arrivent à obtenir des crédits du BCRD plutôt que du PCRD, ou inversement !

Je vous confirme, monsieur le ministre délégué, que le rapporteur spécial de la recherche, Maurice Blin, et moi-même, en tant que rapporteur spécial des affaires européennes, au sein de la même commission des finances du Sénat, allons mener conjointement, d'ici à l'été, une mission de contrôle sur les relations entre le BCRD et le PCRD.

Monsieur le ministre délégué, il nous faut partir d'approches concrètes comme celle-là, à condition de les resituer dans leur contexte de fond, qui est celui de l'Europe.

Aujourd'hui, l'Europe est en panne. La France n'est plus en situation de pouvoir jouer son rôle de « moteur » de l'Europe, ce que je regrette profondément. Nous devons de nouveau prendre des initiatives, et nous pourrons le faire si nous savons retrouver le sens de l'intérêt commun européen.

À cette fin, nous devons travailler sur le sujet de l'énergie - il en a été question ces jours-ci. Mais nous pourrons beaucoup plus facilement encore retrouver le sens de l'intérêt commun si nous savons travailler sur ce qui est essentiel pour l'ensemble des peuples européens, à savoir la politique scientifique et la recherche, garantes des emplois de demain et des équilibres du monde ; je pense au processus de Lisbonne qui a été évoqué par plusieurs orateurs avant moi.

S'il est important pour notre recherche que nous l'inscrivions dans un contexte européen, il est fondamental pour l'Europe que nous nous retrouvions autour de l'intérêt commun, qui est la mise en place d'une grande politique scientifique européenne.

Je souhaite donc que la France propose à ses partenaires européens d'engager vraiment cette politique scientifique européenne, car il n'y aura pas d'avenir pour les Européens, pas d'avenir pour notre pays, pas d'avenir pour notre recherche, hors de ce choix ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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