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ENSEMBLE POUR NOS COMMUNES
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30 novembre 2004

Compétitivité de la France : Etat des lieux

Article de Denis Badré

publié dans la revue "Commentaire"

septembre 2004

   

      

   

1. Dans quel monde vivons-nous ?

Au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, dans le monde, les droits de douane ont été divisés par dix et les échanges multipliés par vingt, le commerce des services augmentant entre les pays industrialisés, depuis vingt ans, deux fois plus vite que celui des marchandises. Le coût du transport aérien était divisé par trois, celui des communications téléphoniques par trente. La production a quadruplé et, parce qu'il faut tout de même prendre également en compte l'explosion démographique, le revenu par habitant a, seulement mais tout de même, doublé.

Depuis dix ans, le flux annuel des investissements directs à l'étranger a quintuplé. Le montant des opérations de fusion-acquisition atteint maintenant 10% du PNB mondial.  Les transactions quotidiennes sur le marché des changes tournent autour de 1000 milliards de dollars, soit, pour situer les ordres de grandeur, trois fois notre budget national, annuel lui.

Au-delà des marchandises, des services, ou encore des capitaux, ce sont en fait les idées et l'information, sur quelque sujet qu'elle porte, qui peuvent traverser le monde et le faire instantanément. Les personnes elles-mêmes sont de moins en moins limitées dans leurs déplacements, de courte ou de beaucoup plus longue durée, réels ou bientôt simplement virtuels.

Dans un univers désormais largement ouvert et qui, de ce fait même, change de plus en plus rapidement, les entreprises cherchent à fabriquer leurs produits, marchandises ou services, là où c'est le plus intéressant de le faire. Celles qui refusent de choisir une délocalisation sont celles qui sont très solides sur leur créneau, mais pour combien de temps, ou très protégées de concurrents établis dans des pays à coûts de main d'œuvre moindres, mais à quel prix, ou encore mal dirigées, cette hypothèse étant évidemment purement théorique. Bien sûr, tout cela doit être affiné pour prendre en compte les situations particulières des produits sensibles pour des raisons stratégiques dont le marché est donc à part, ou encore les secteurs mobilisant des matières premières ou élaborant des produits finis difficilement transportables…

Il faut bien mesurer la difficulté des choix des dirigeants d'entreprises qui se voient proposer en Asie du sud-est des coûts salariaux dix fois plus faibles qu'en Europe, ceux-ci pouvant d'ailleurs toujours varier de un à deux à l'intérieur de l'Union des Quinze.

Partons de l'hypothèse selon laquelle, pour survivre, il faut produire moins cher que ses concurrents. Il n'est pas choquant que, tout patriotisme mis de côté, on cherche en général à produire là où le rapport entre le coût de production et la proximité des clients est le plus favorable. Quitte à ce que cela amène à fabriquer un produit semi-fini au bout du monde, pour le finir en Europe à une ou deux heures d'avion du client français exigeant et pressé.

Au demeurant, se pose aujourd'hui, au moins pour les plus grandes entreprises, la question de leur nationalité. Est-ce celle de leurs dirigeants, s'ils ont le bon goût d'avoir la même, ou de la majorité de leur actionnariat, laquelle peut évoluer très vite, ou de leur siège social, de leur marché principal, ou encore de leurs centres de production, et c'est classiquement à quoi on pense d'abord, mais nous venons de voir qu'ils peuvent être multiples et très éclatés. Elle pourrait être également liée à l'implantation de leurs centres de recherche, pour le choix desquels la qualité de l'environnement scientifique est souvent déterminante. Et que dire de celles qui externalisent certaines de leurs fonctions, qu'il s'agisse d'une partie de la production ou de services tels que centres d'appel, après-vente ou gestion des ressources humaines.

La mondialisation c'est un peu tout cela. Et c'est incontournable. Une autre question est celle de savoir si c'est une bonne ou une mauvaise chose. L'essentiel consiste à mesurer les opportunités et à identifier les difficultés qu'offre un monde ouvert.

A cet égard notre pays dispose d'atouts extraordinaires et souffre de handicaps certains. Il importe de valoriser les atouts et de réduire les handicaps. Ce n'est pas forcément ce que nous faisons.

  1. Nos atouts

La France dispose d'atouts exceptionnels qui devraient lui permettre de jouer un rôle majeur dans notre monde ouvert.

« Glücklich wie Gott in Frankreich », la formule « heureux comme Dieu en France », est bien connue. Nos nationaux comme les étrangers sont donc prêts à certains sacrifices pour « vivre en France » puisque c'est très agréable. Nous n'insisterons pas sur cet atout que nous citons néanmoins en premier puisqu'il est de nature à retenir ceux qui envisagent de partir et qu'il attire tous nos partenaires. Il est surtout « durable »  puisque le charme de la France est fondé sur la géographie et notamment  le climat ainsi que sur un patrimoine historique et un capital culturel sans pareils. Et Paris devrait encore longtemps rester Paris…

Baignée par la Mer du Nord et la Méditerranée, ouverte sur l'Atlantique, frontalière de la péninsule Ibérique et arrosée par le Rhin, la France jouit d'une position centrale en Europe. Et son exceptionnel réseau de communications et de télécommunications lui permet de valoriser parfaitement cette position.

Avec ses 60 millions d'habitants et son haut niveau de revenus moyens elle constitue un marché stratégique.

Elle présente enfin des aptitudes particulières à l'innovation et à la créativité, qui peuvent s'appuyer sur du savoir-faire commercial et une puissance financière réels.

Les capacités d'initiative, d'imagination et d'adaptation de nos compatriotes sont enviées. Aujourd'hui, il faut sortir des frontières pour constater que nos systèmes de formation sont cités parmi les plus performants au monde. Ici réside un de nos principaux atouts, dont nous jouons pourtant bien mal. Dans une analyse raccourcie, nous cédons à la facilité en critiquant ces systèmes alors qu'en fait, ils reposent sur de bonnes intuitions et c'est la manière de les mettre en œuvre qui pèche. C'est l'organisation de notre Education Nationale qui doit être revue beaucoup plus que les formations dispensées puisque nos compétences sont appréciées dans le monde entier et dans la plupart des domaines de la science et des technologies, de l'artisanat, du sport ou de la culture… Ce constat devrait nous faire réfléchir et retrouver par exemple l'idée que la culture générale rend adaptable… Toujours est-il qu'aujourd'hui de nombreux Français comptent parmi les meilleurs mathématiciens  ou biologistes du monde. Malheureusement, ils travaillent à Boston où ils sont allés retrouver d'autres étrangers, Indiens pour beaucoup…. Ne serait-il pas préférable que les Indiens s'arrêtent en France pour y créer autour de nos savants les pôles de recherche où ils pourraient exprimer leurs talents ?

Ne devons–nous pas nous interroger lorsque nous constatons que nos impôts servent à former les élites de pays qui viendront nous concurrencer ?

3 – Nos handicaps

La preuve de nos handicaps réside dans une assez forte incapacité à ne pas vouloir reconnaître nos atouts. Il nous faut d'abord retrouver un moral de gagnant et prendre conscience que nous avons tout ce qu'il faut pour tirer notre épingle du « jeu » de la mondialisation. Commençons donc par ne pas partir battus.

Dans le même esprit, nous refusons de regarder la réalité en face et de prendre conscience de la fuite de nos capitaux et de nos compétences et des délocalisations des productions.

Il nous faut mesurer la qualité de nos atouts et cesser de les gaspiller.

Si nos compétences représentent une de nos principales forces, appelons–les à produire. Réduire de manière autoritaire et sans laisser de marges de manœuvre le temps de travail apparaît alors absurde, alors même que travailler est ce que nous faisons de mieux.

Ou alors c'est que nous refusons de voir le monde tel qu'il est.

Si notre système de formation rend nos compétences spécifiquement pointues, il nous a également poussés à cultiver des principes qui ne sont pas tous féconds. Les « querelles d'écoles » nous asphyxient. Et nous laissons les « règles », notamment administratives, proliférer de manière désordonnée.

Notre instabilité fiscale relève sans doute d'un souci de perfectionnisme… Il fait fuir ceux qui veulent construire un projet dans la durée.

Le poids des formalités administratives, comme la complexité et la rigidité du droit du travail sont d'autant plus décourageants qu'ils s'assortissent d'une grande insécurité juridique.

L'image que nous donnons d'un pays toujours en grève nous fait également un tort énorme.

Notre goût de l'égalitarisme nous amène à considérer l'excellence comme une maladie honteuse. D'autant là aussi qu'il faut paradoxalement la conjuguer avec un culte du diplôme et un refus de l'échec. Il faut savoir qu'aux Etats-Unis le créateur d'entreprise qui échoue aura plus à gagner à dire qu'il a osé entreprendre et qu'il a l'expérience de l'entreprise, qu'il aura à perdre en avouant qu'il n'a pas réussi…

Pour résumer cette énumération de quelques défauts français, qui devraient pouvoir être réduits pourvu qu'on le veuille, on pourrait simplement regretter que le Français, facilement donneur de leçons, continue à se considérer comme le meilleur dans tous les domaines, sachant tout, et n'ayant rien à apprendre des autres.

Au-delà de ces caractéristiques bien françaises, il faut classer parmi nos handicaps une incapacité à valoriser notre potentiel scientifique : notre appareil de recherche reste lourd et inefficace, donc peu attractif pour les meilleurs et de ce fait durablement sous–utilisé. Ce n'est pas d'abord une question de moyens mais de gestion des ressources humaines et d'organisation. Ce handicap est donc surmontable mais il y faudra une extraordinaire volonté politique. Pour nous inciter à la mobilisation songeons simplement au choix qui est proposé aux meilleurs de nos post-doctorants partis s'initier aux pratiques américaines et approfondir outre-atlantique leurs relations avec leurs condisciples. Au terme de leurs séjours ils se voient proposer une bourse pour travailler très librement sur le sujet de leur choix avec les moyens qui leur paraîtront les meilleurs. Bien sûr, il faudra que quelques années plus tard ils apportent des résultats. L'exigence est là plus que dans les moyens ou la manière de faire. En France on leur demandera de passer un concours de recherche et d'entrer dans une carrière sur le choix et la conduite de laquelle ils pourront assez peu peser… Je disais plus haut qu'"il fait bon vivre en France". On peut ajouter que pour les meilleurs, c'est aux Etats-Unis qu'"il fait bon travailler". Pour notre part, nous fabriquons des handicaps inutiles pour faire basculer vers le départ des Français qui ne le feront qu'à contrecœur ou pour dissuader de s'installer chez nous des étrangers qui auraient aimé le faire…

Je gardais évidemment pour la fin de ce paragraphe le handicap le plus immédiatement apparent, sinon le plus difficile à surmonter, celui du poids des prélèvements obligatoires, sociaux et fiscaux.

Notre attitude face à la richesse tend à considérer l'argent et a fortiori la réussite comme suspects. Notre fiscalité, celle des personnes, comme celle qui pèse sur les patrimoines pénalise l'initiative.

Globalement, notre pression fiscale, pour ne parler que d'elle, est de dix à vingt pour cent plus lourde que la moyenne de celle de nos partenaires européens.

Ceci a deux types de conséquences :

1. Pour retrouver la moyenne, donc des conditions normales de concurrence, il faudra l'alléger d'une trentaine de millions d'euros par an. Il faudra sans doute du temps avant que la croissance nous les apporte et si elle nous les apporte, nous aurons d'abord à réduire notre déficit et à soutenir des actions amplifiant la croissance et améliorant notre compétitivité. Il ne reste que la voie de la baisse de la dépense, laquelle est étroite.

2. Il est urgent d'emprunter cette voie car ce type de comparaison nous rappelle que si cette situation est fâcheuse pour nos budgets de demain, elle est déjà pénalisante pour nos entreprises aujourd'hui. Elle ne peut qu'inciter nos contribuables à aller chercher des cieux plus cléments et nos entreprises à produire ailleurs puisque cela leur coûtera moins cher. Et tout cela ne fera que creuser encore l'écart avec nos concurrents. Une seule constatation : pour survivre malgré tout dans ces conditions, nos entreprises doivent présenter des qualités exceptionnelles. On retrouve l'excellence de nos compatriotes… Mais jusqu'à quand ?

Cette réalité doit être regardée en face.

Lorsque Bercy constate que chaque année c'est le même nombre de contributeurs à l'ISF qui ont disparu de leurs rôles, comme ceux qui avaient disparu les années précédentes ne sont pas tous revenus, cela veut dire non pas que la situation est constante mais qu'elle s'aggrave. Et il faudrait prendre en compte ceux qui ne sont jamais apparus dans ces statistiques, car partis avant de payer l'ISF créer leur entreprise à l'étranger. Ici aussi, c'est de l'ISF en moins, mais surtout de l'activité et de la consommation, donc toutes sortes de rentrées fiscales… et d'emplois en moins chez nous et en plus chez nos concurrents. Les analyses brutes qui traitent de moins-values fiscales n'ont pas de sens : il faut, même en matière fiscale, raisonner économiquement.

A cet égard une image sur la question de l'amnistie fiscale : celle-ci est complètement "taboue" en France pour des raisons idéologiques. Pratiquer une telle amnistie c'est pardonner l'impardonnable et c'est faire un cadeau aux riches. A l'idéologie opposons un instant le pragmatisme. L'amnistie italienne vient de faire rentrer 90 milliards d'euros de capitaux. Un des projets existant dans nos cartons démontre  qu'une amnistie pourrait encore être attractive avec une taxe à la rentrée de 10 % ; Une telle taxe pesant sur 90 milliards rapporterait immédiatement trois fois le produit annuel de l'ISF ; ces capitaux viendraient soutenir notre économie au lieu de celle de nos concurrents. Ils généreraient, eux aussi, emploi et consommation, donc rentrées fiscales, et cela pour longtemps…. N'oublions pas d'ailleurs qu'un tel pragmatisme a été suivi par de précédents gouvernements, comme ce fut le cas en 1960, sous l'autorité du Général de Gaulle.

   

Suite de l'article :

Partie 2 : Compétitivité de la France : Les enjeux

       

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